Léonce Vieljeux – Secteur Hangar

Jeune patriote, choqué par la défaite de la France en 1870 et la perte des provinces de l’Est, il se destine à l’armée. Sorti avec le grade de sous-lieutenant, de l’école militaire de Saint Cyr en 1888, il est affecté à La Rochelle au 123ème Régiment d’Infanterie en 1888. En 1891, il épouse la fille d’un armateur rochelais, Franck Delmas et abandonne l’armée pour entrer en 1896 dans la Compagnie de Navigation de son beau-père qui quelques années plus tard devient la Compagnie Delmas-Vieljeux.

De I914 à 1918, il participe à la Grande Guerre. Il en revient avec le grade de lieutenant-colonel, plusieurs citations, à l’ordre de la division, de l’Armée et de la brigade. Il reçoit la Légion d’Honneur au titre de chevalier puis d’officier.
La paix revenue, il reprend ses activités à la compagnie maritime.

De son éducation protestante et de son passage à l’armée, il a conservé un sens élevé du devoir, une passion pour le bien public et une inflexible droiture de caractère. Tout à fait conscient de son abord froid, il disait : « Je suis de l’espèce des spectateurs qui assistent sans manifester au déroulement d’un scénario, mais qui, autant que d’autres, en jugent ou en ressentent les beautés ou les tristesses. La vie m’a appris combien il fallait être philosophe, indulgent et résigné. »

            En 1912, il est élu conseiller municipal de La Rochelle puis réélu en 1919. En 1930,  il devient maire, fonctions qu’il conserve jusqu’à sa suspension à la demande des autorités d’occupation le 22 septembre 1940. Il assume pleinement ses responsabilités et en 1939, il prend une part active dans la formation par la municipalité, du Comité de Solidarité rochelaise destiné à soutenir moralement et matériellement mobilisés, combattants, blessés et leurs famille ainsi que les réfugiés qui envahissent la ville en mai/juin 1940..

            Au matin du 23 juin 1940, l’avant-garde de l’armée d’invasion pénètre à La Rochelle ville ouverte. Léonce Vieljeux qui a revêtu son uniforme de l’armée française, attend depuis 8h30 dans son bureau. « Un peu avant 16 heures, une voiture blindée déboucha par le rue Dupaty, et vint stopper face à la porte de l’hôtel de ville, canon et mitrailleuse braqués sur le bâtiment ». Un jeune lieutenant, accompagné d’un interprète français, en émerge et se présente à l’Hôtel de Ville sur lequel flotte comme le maire l’a demandé, le drapeau français. Ordonnant à Léonce Vieljeux d’abaisser le drapeau pour le remplacer par l’emblème nazi, il se heurte à un refus catégorique et motivé : « Dites à cet officier que je suis, moi, colonel dans l’armée française, que je suis maire d’une grande ville, que mon honneur d’officier et ma dignité m’interdisent de discuter avec un subalterne, même s’il appartient à une armée victorieuse, et que je n’exécuterai des ordres que s’ils émanent d’un officier allemand ayant au moins un grade égal au mien. » (M. Calsat) 

Dans la soirée l’Hôtel de Ville bloqué par plusieurs blindés, est investi par tout un état major allemand et peu après le drapeau nazi a flotté au dessus des lieux. Léonce Vieljeux est refoulé dans une petite pièce attenante à son ancien bureau où il se rend chaque matin pour prendre les ordres du chef de la Kommandantur.
Ce refus, ce geste de résistance au premier jour d’occupation de la ville, a fait de Léonce Vieljeux, un personnage emblématique qui a attiré le respect et l’affection de ses administrés. Il ne les déçoit pas puisqu’à partir de ce jour, il ne cesse de s’opposer aux exigences de l’occupant et lorsqu’il ne le peut pas, il fait preuve de mauvaise volonté. A la suite de son refus de faire placarder des affiches anti-anglaises qui exploitaient l’incident de Mers El Kébir le 20 septembre 1940, il est révoqué par Vichy à la demande de l’occupant furieux.

Dans l’arrêté de suspension en date du 22 septembre, les motifs du préfet reprennent intégralement les instructions allemandes. Il refuse, comme le lui conseille le préfet d’envoyer une lettre d’explications au commandement allemand et exige de son conseil municipal de ne pas se solidariser avec lui. Cependant, il reste présent dans la ville où il consacre son temps au Secours National. De nouveau en mai 1941, il est aux prises avec les exigences allemandes à propos de la création d’un journal régional auquel il n’accepte pas d’apporter son concours. Excédés par son attitude, les Allemands obtiennent son expulsion de Charente Maritime le 17 juin. Il est alors assigné à résidence en Charente et s’installe chez sa fille Mme Roullet, au Brillac près de Jarnac.  La mesure étant levée le 2 novembre, il regagne alors La Rochelle deux jours plus tard.

Léonce Vieljeux est arrêté le 14 mars 1944 en même temps que deux de ses neveux Franck Delmas et Jacques Chapron, ainsi que Joseph Camaret le directeur des chantiers Delmas Vieljeux, tous agents immatriculés au réseau Alliance. Son arrestation a été précédée par celle de son petit fils Yann Roullet, pasteur à Mougon dans les Deux Sèvres qui avec Etienne Girard également arrêté, participait à une filière de passage de la ligne de démarcation  pour les personnes recherchées par les polices allemandes. L’arrestation de Léonce Vieljeux est sans doute à mettre en relation avec une première vague réalisée en janvier 1944 et qui avait en partie désorganisé le réseau Alliance sur La Rochelle. Il est probable que la Gestapo a poursuivi son minutieux travail d’enquête pour achever malgré un cloisonnement strict, le démantèlement de la direction locale du réseau. Léonce Vieljeux n’était pas immatriculé mais par ses attaches familiales, il avait des liens avec le réseau et dans son livre l’Arche de Noé, Marie Madeleine Fourcade le cite comme ami actif d’Alliance.

Pour eux la première étape est la prison de Lafond à La Rochelle.

« Nous étions en fin d’après midi. Tout était tranquille dans la prison. Soudain des pas. la porte qui s’ouvre : un vieux monsieur, de petite taille, avec un chapeau melon et une couverture foncée, tenue par les quatre coins, sur son épaule, est projeté dans la cellule. Il se présente : « Monsieur Vieljeux, maire de La Rochelle ». C’est moi qui étais devant. Je me présente à mon tour. Et je lui dit : « nous n’avons que deux paillasses, mais vous en prenez une » et comme il refuse, sous prétexte qu’il est arrivé le dernier, j’ajoute : « Aujourd’hui, vous obéirez »…

« Si c’est un ordre ! », dit Léonce Vieljeux en ouvrant sa couverture… Dedans, il y avait des biscuits. Il les partagea avec nous». (J. Hayé)

C’est ensuite le départ à la gare de La Rochelle pour la déportation via la prison de Poitiers : « Il était un peu plus de midi… je rentrais chez moi à pied. Sur le trottoir du quai Valin, j’ai croisé Léonce Vieljeux, menotté et encadré de deux feldgendarmes. Je l’ai reconnu. Il était élégant. Il portait une redingote grise et un chapeau melon. A l’époque pour tous les gamins de La Rochelle, le maire symbolisait le refus de l’allégeance vis-à-vis des occupants. Je l’ai salué en enlevant mon béret. Il a répondu à mon salut d’un signe de tête. J’ai compris que les Allemands l’emmenaient à la gare. Tout le monde savait à La Rochelle que le maire était retenu prisonnier à Lafond et devait être transféré sur Poitiers. Alors, j’ai pris une venelle et je suis remonté en courant vers la gare…. Une fois arrivé, j’ai prévenu mon cousin, qui était aux billets, et je suis allé voir le chef de gare… Tous les cheminots sont venus sur le quai. Et nous avons fait une haie d’honneur à notre maire qui quittait La Rochelle pour toujours ». (G. Rousseau)

            Fin avril, tout le groupe est déporté au camp de Schirmeck et bouclé dans la baraque n°10 où ils sont rejoints par d’autres résistants du réseau Alliance. Agé alors de 89 ans, Léonce Vieljeux s’emploie à soutenir le moral de ses compagnons, supportant avec une grande sérénité les rigueurs de l’internement. Un témoin raconte : « Léonce Vieljeux, nous était apparu comme un mince vieillard…Il avait toujours sur les épaules une couverture, car le léger tissu cellulosique de nos costumes de forçats le protégeait mal de la fraîcheur de  mai à l’altitude de Schirmeck. Ses yeux bleus surprenaient par leur vivacité et leur éclat étonnants chez un homme de son âge. Dès qu’il avait été question d’organiser notre loisir forcé et de prévoir des cours, des jeux et des causeries, il était tout de suite intervenu pour prendre part à l’élaboration des programmes et à leur réalisation en nous proposant de faire quelques conférences… » (Dr Lacaperre, seul survivant du groupe de Schirmeck)

 La Gestapo de Strasbourg poursuit les interrogatoires pour constituer le dossier de chacun.

Dans la nuit du 1er  au 2 septembre 1944, Léonce Vieljeux est exécuté avec ses compagnons de misère Joseph Camaret, Franck Delmas, Jacques Chapron, Yann Roulet, Etienne Girard, ainsi que le premier groupe du réseau Alliance, arrêté en décembre 1943 et janvier 1944, Franck Gardes, Louis Gravot, Georges Emonin, Marceline Emonin. Le capitaine de la motte-Rouge était décédé le 22 avril des suites des brutalités subies pendant les interrogatoires et des mauvaises conditions d’internement dans un cachot. L’ordre de Berlin, transmis à tous les lieux nazis de détention des membres du réseau Alliance, émanait directement de Hitler qui a défaut d’un procès à grand spectacle, tenait ainsi sa promesse d’éliminer l’Arche de Noé comme le réseau avait été surnommé. Cette nuit du 1er au 2 septembre 1944, 106 membres du réseau Alliance détenus à Schirmeck, furent exterminés au camp du Struthof.

Nous disposons des témoignage de Henri Gayot et de Franck Geoffroy résistants rochelais du mouvement « Honneur et Patrie », détenu au Struthof : « Le 30 août 1944 à la rentrée des kommandos à 18 heures nous sommes consignés dans nos baraques. Le lendemain, même situation. Aucun détenu ne sort du camp pour aller au travail. Aucun contact n’est plus possible avec l’extérieur. Dans la nuit, défilé interminable de camions apportant les corps des détenus exterminés du camp de Schirmeck. Pendant trois jours et trois nuits, le crématoire va fonctionner sans arrêt ; et fait que nous n’avions jamais constaté, la cheminée est rouge de haut en bas à cause de l’adjonction d’huile de vidange de moteur pour activer la combustion. Le maquis du Donon a, je crois, à ce moment, essayé de tenter une diversion car nous avons entendu des coups de feu au cours de ces nuits tragiques. » (H. Gayot)

 » Les 1er et 2 septembre dans la nuit sans arrêt roulent les camions descendant vers le crématoire. Le lendemain, la cheminée est rouge à mi-hauteur. Nous saurons que des centaines de morts ont brûlé ce jour (dont Léonce VIELJEUX)… (F. Geoffroy)« 

            Par son sens du devoir et son attachement à la nation française, il est resté pour les Rochelais un exemple toujours actuel de courage et de détermination face à l’adversité.

Nicole Proux

NDA : Le commandant Meyer, à une semaine près, aurait pu sauver Léonce Vieljeux avec l’aide de l’amiral Schirlitz.

Sources :

Marie madeleine Fourcade , L’Arche de Noé
Mémorial du réseau Alliance
Henri Gayot, Charente Maritime : Occupation, Résistance, Libération
Léonce Vieljeux, armateur
Note de Jean Luc Labour, Comité Léonce Vieljeux
Témoignage du secrétaire général de la mairie, Mr Calsat
Témoignage de Jacques Hayé, Sud Ouest, 1er septembre 1994
Témoignage de Guy Rousseau, Sud Ouest, 15 avril 1944
Fonds Gayot,- Témoignages de H. Gayot, F. Geoffroy, ADCM
Extrait d’un rapport au ministère de l’Intérieur du commissaire principal au chef des RG à Poitiers

Note de l’association :

En 1891, Léonce Vieljeux épouse la fille de Frank Delmas, armateur rochelais fort en 1939 d’une flotte d’une vingtaine de navires : ce dernier aussi, malgré son âge, oeuvre pour le réseau « Alliance ». De nos jours si un parc, une rue de sa cité portent son nom, un timbre est à son effigie.

Autre personnage de cette trilogie multi-générationnelle Joseph Camaret. A 32 ans, au début de la guerre, il est le directeur général des chantiers navals Delmas-Vieljeux. Dans la dynamique de son entourage direct, il est aussi du réseau « Alliance » et le paiera aussi de sa vie, en déportation.
Ces trois noms font partie de l’histoire rochelaise, mais aussi de l’Histoire tout court de par leur rôle déterminé de résistants, car le réseau « Alliance », souvent amputé, modifié, était devenu au fil des ans le régiment Jean Guitton.

Il eut à son actif la réalisation secrète de quatre véhicules blindés, à la barbe de l’occupant, dans le but de prendre une part active et par un second front dans le dos de l’ennemi, de prêter main forte aux combats de la Libération de la poche de La Rochelle qui refusait de se rendre, au mois d’août 1944.

Ces véhicules artisanalement blindés portèrent le nom des trois hommes évoqués plus haut. La réalisation fut un jeu de cache-cache puisque l’usine Vieljeux de la Palice, sous couvert de fournir des tôles à la Wehrmacht, fabriquait subrepticement des plaques de blindages qui étaient ensuite véhiculées…, à bord de corbillards !

Dans les ateliers des résistants, on blinda donc, avec des lignes simples et des soudures de chantier naval, deux vieux châssis de camions réformés des années 1914-1920. Les roues à bandage plein ne risquaient rien de la mitraille, et une petite tourelle mobile abritait une mitrailleuse.

Ce furent le « Frank Delmas »et le « Léonce Vieljeux », et pour compléter, fut aussi réalisée une cavalerie légère avec deux engins baptisés « Joseph Camaret » numéros 1 et 2, deux minuscules Simca 5 – la « Topolino » de Fiat – ainsi caparaçonnées d’acier, puis armées d’une mitrailleuse et d’un lance-flammes.

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