Jacques Stosskopf – Secteur Chapelle

Le 27 novembre 1898 est né à Paris Jacques Camille Louis Stosskopf, fils d’Albert Jean Charles Stosskopf ( 1860-1928) né également à Paris, employé de banque, et de Jeanne, Emmanuelle Martin (1873-1959) née à Reims.

Ces derniers s’étaient mariés en 1893 et avaient eu trois enfants : Roben né en 1896, Jacques né en 1898 et Jeanne née en 1911. Les grands parents paternels étaient originaires d’Alsace, les grands parents maternels de Belgique.

Carrière militaire de 1917 à 1930 : Jacques fait des études primaires et secondaires brillantes au collège Rollin à Paris qu’il poursuit jusqu’en avril 1917, en classe de mathématiques supérieures. Le 14 avril 1917, il est incorporé au 22e régiment d’artillerie, affecté à l’École d’artillerie de Fontainebleau. En avril 1918, il est affecté à l’état major du 3e groupe du 133e régiment d’artillerie lourde, puis nommé sous-lieutenant le 15 septembre 1918 au 417e régiment d’artillerie lourde. A sa demande, en septembre 1919, il est affecté au 155e régiment d’artillerie à pied basé à Strasbourg. En février 1920, il est détaché au collège Rollin pour préparer le concours d’entrée à l’Polytechnique. Il y est reçu 5ème le 11 octobre 1920. Il sort 23e de la promotion militaire le 1er août 1922 pour deux mois de stage au 155e d’artillerie, avant de suivre les cours de l’École d’application du génie maritime, d’octobre 1922 à octobre 1924, mois à partir duquel il est affecté à l’atelier des constructions neuves de l’arsenal de Cherbourg où il participe à la construction et à la mise au point des premiers torpilleurs de 1.455 t du programme naval. À partir du 21 décembre 1928, Stosskopf devient, à Paris, l’adjoint de l’ingénieur en chef Antoine, chef de la section des petits bâtiments. Pour sa participation aux côtés de ce dernier aux travaux qui conduisent notamment à la création des contre torpilleurs des types Malin et Volta, Jacques Stosskopf devient ingénieur principal le 26 juillet 1929, et est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 9 juillet 1930.

En mai 1931, il épouse Marianne Hemmerlé, fille de l’industriel strasbourgeois Emile Hemmerlé, et d’ Augusta Preiser. Deux enfants naîtront de leur union, François en 1933 et Elizabeth en 1935.

En septembre 1936 Jacques Stosskopf est nommé à la tête du service de la surveillance des travaux et des fabrications confiés à l’industrie de la circonscription de Nantes. Le grade d’ingénieur en chef de 2e classele 2 août 1937et la croix d’officier de la Légion d’honneur le 1er janvier 1939, soulignent sa réussite professionnelle et ses aptitudes à la direction.

Le 2 octobre 1939, Jacques Stosskopf est nommé chef de la section des constructions neuves à l’arsenal de Lorient où il retrouve l’ingénieur général Antoine, devenu directeur des Constructions navales. Pendant les premiers mois de la guerre, il contribue à la participation importante de l’arsenal aux opérations maritimes, notamment à la mise au point du système de dragage des mines magnétiques allemandes.

Le 21 juin 1940, la Wehrmacht pénètre dans la ville de Lorient. Dès le 23 juin 1940, l’amiral Doenitz, commandant en chef de l’arme sous-marine allemande, visite Lorient. Suite à cette visite Lorient est choisi par l’état major allemand comme premier port français à utiliser par les sous-marins, vu son emplacement et la qualité de ses installations, notamment son slip-way inauguré en 1927. Le 7 juillet 1940, l’ U 30 est le premier sous-marin à s’y ravitailler. Au cours du mois de juillet, la deuxième flotille de sous marins est basée à Lorient, révélant ainsi l’importance de ce port de Lorient pour la Kriegsmarine allemande dans la bataille de l’Atlantique contre l’Angleterre. Le 11 novembre 1940, l’amiral Doenitz et son état major s’établissent sur la presqu’île de Kernevel, sur la commune de Larmor.

Il est décidé, pour accueillir les sous-marins, de faire construire par l’organisation Todt une base sous-marine sur la presqu’île de Kéroman, en face du port, avec 30 abris bétonnés et un bunker sur la rive du Scorff, en face de l’arsenal. Les travaux commencent dès février 1941. Les bases de Keroman I et II sont achevées en août et décembre 1941, et en janvier 1943 l’objectif de 30 place protégées pour les U-Boote à Lorient est atteint avec la construction de Keroman III.

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Opération de coulage du béton de Keroman III

Le 18 juin 1940, si l’Amirauté française donne aux forces de la marine militaire stationnées à Lorient l’ordre d’évacuer ce port, en revanche, le 19 juin, l’amiral Darlan commandant en chef de la marine française donne l’ordre de ne pas évacuer le personnel de l’arsenal, précisant comme suit le 30 septembre 1940 sa directive :

« Il me paraît tout à fait vain de chercher à s’opposer aux demandes allemandes. Un refus n’aurait d’autre résultat que d’entraîner des mesures de contrainte s’accompagnant d’inconvénients graves… La seule solution réaliste consiste à accepter dans leur principe les demandes des Allemands en cherchant à obtenir d’eux des contreparties aussi substantielles que possibles. En dehors de leurs avantages intrinsèques, ces compensations permettraient de justifier auprès du personnel ouvrier des chantiers l’attitude du gouvernement et d’en obtenir une activité normale ».

Jacques Stosskopf est donc resté à son poste. S’agissait-il déjà du résultat d’une analyse stratégique de résistance ? Avec l’accord de l’ingénieur général Antoine, il s’efforce d’empêcher que les occupants ne soient les seuls maîtres des ouvriers et des installations. C’est ainsi qu’aucun ouvrier français de l’arsenal ne travaille sous les ordres directs des Allemands. Ce maintien de l’encadrement national permet de conserver le maximum d’autonomie et de limiter le plus possible le rendement et l’ampleur des tâches accomplies pour les Allemands.

Bien que parlant parfaitement leur langue, Jacques Stosskopf évite tout contact avec ces derniers. Selon le témoignage de l’ingénieur général Théry « une fois les Allemands arrivés, alors sous-directeur de l’arsenal, j’ai eu dans les premiers jours de vifs conflits avec des officiers allemands qui faisaient piller les magasins dont j’avais la charge. Stosskopf m’a assisté plusieurs fois dans ces discussions où, bien que parlant allemand, je ne comprenais pas toujours les réponses de l’adversaire qui parlait trop vite pour moi. Stosskopf me résumait ces propos « Il te dit que…» sans jamais parler allemand lui-même, comme s’il eût craint de se salir les lèvres.»

Or le commandant Trautmann, en poste à Vichy comme chef du Secteur Nord au 2e Bureau de la Marine, au sein duquel une section de contre espionnage clandestine a été constituée au sein du bureau qui transmet des informations aux alliés sur l’activité de la marine allemande, tant sur mer qu’à terre, via les délégations des U.S.A et du Canada, cherche à constituer un réseau d’agents en zone occupée. Effet, à partir de janvier 1941, pour faire officiellement le point de la situation en zone occupée, des réunions mensuelles d’ingénieurs ont été mises en place à Vichy. Par l’ingénieur général Chevalier, qui fait alors la liaison entre Vichy et Brest, Trautmann a connaissance de l’hostilité de Jacques Stosskopf envers l’occupant. A l’occasion d’une de ces réunions, Trautmann fait en sorte de le rencontrer Stosskopf et lui expose son projet auquel ce dernier accepte de s’associer.

Aussi, dès son retour à Lorient, Jacques Stosskopf modifie, en apparence, son attitude à l’égard des Allemands, et s’efforce de gagner leur confiance. Comme il doit feindre la collaboration avec eux et jouer à fond son double jeu, il est haï des ouvriers. Cruel prix à payer, pour remplir la mission qu’il s’est fixée.

En tout cas, Jacques Stosskopf peut ainsi aller et venir sur les chantiers sans éveiller l’attention et recueillir de précieux renseignements. Ainsi, bien que les numéros des sous-marins allemands soient cachés, chacun porte un signe distinctif, par exemple un poisson-scie pour l’U-96, un hippocampe pour l’U.97, deux porcs-épics blancs pour l’U-202 etc . De plus, en rentrant, chaque commandant de sous marin indique le résultat de sa campagne en accrochant à son périscope des guidons de différentes couleurs pour marquer chacune de ses «victoires », c’est à dire les navires détruits: blanc pour les cargos, blanc bordé de rouge pour les croiseurs auxiliaires, rouge pour les navires de guerre. En examinant les bons de commande des Allemands à l’arsenal français, Stosskopf peut faire des rapprochements et établir pour chaque sous-marin son emblème, son numéro et le nom de son commandant. Stosskopf relève soigneusement tous ces indices quand il se rend sur les quais, ou dans le bureau de fabrication de l’atelier des machines et jusqu’à la menuiserie, sous prétexte de contrôler si les ouvriers font bien leur travail. Doué d’une prodigieuse mémoire, pour éviter d’avoir à transporter jusqu’à Vichy des preuves écrites de son activité, il apprend par cœur toutes ces informations.

De plus, Jacques Stosskopf constitue, autour de lui, dès avril 1941, un groupe d’informateurs, outre sa secrétaire Jeanne Librairie, les ingénieurs Castel, Gallais, Giraud, Labbens et Perais, qui, à sa demande, se relaient jour après jour pour suivre les déplacements des sous-marins, recueillant aussi des renseignements sur les cahiers de mouvements de la direction du port, postée à ce moment là sur « L’Enseigne Henry« , avec la complicité tacite des « mariniers de port« , (selon le nom qu’on leur donnait alors) lesquels s’arrangent pour leur éviter toute rencontre avec des Allemands pendant qu’ils se livrent à cette tâche.

Les ingénieurs reportent les informations recueillies sur une sorte de calendrier fait à partir de feuilles formant tableau que Stosskopf a fait polycopier à cette intention et qui représentent des demi journées. Chaque case représente un poste d’amarrage. Ils y inscrivent le signe distinctif du sous-marin, et son numéro s’ils le connaissent. Une fois la feuille remplie, elle est déposée dans un tiroir où Stosskopf la récupère, s’en sert pour inscrire sur le grand tableau qu’il a dressé avec la représentation en couleurs des emblèmes et les numéros des sous-marins, les renseignements ainsi fournis : dates d’arrivées, mouvements.

Ces ingénieurs ignorent totalement la manière dont il utilise les renseignements qu’ils lui apportent. Ils savent seulement qu’il faut s’adresser à lui si on veut mettre les Alliés au courant de quelque chose. Le témoignage d’ Henry Giraud, alors jeune ingénieur de 2e classe à l’arsenal témoignage recueilli en 1998 par François Stosskopf, tout en attestant son admiration pour « ce chef militaire au patriotisme hors de pair et aux convictions morales et religieuses profondes » confirme la manière d’agir de ce dernier : « Mes premiers rapports personnels avec Monsieur Stosskopf se situèrent un matin, à peu près le 15 Juin 1940. Compte-tenu de certaines circonstances, j’avais pris dans la nuit précédente une initiative pour la Marine à Lorient, totalement en dehors des attributions d’un ingénieur, initiative qui échoua. Monsieur Stosskopf s’approchant de moi le matin, me dit tout de go : « Votre initiative de cette nuit a échoué, mais vous avez bien fait de la tenter. » Que hauteur de vues pour un chef couvrant ainsi une démarche « hors statut » et quel encouragement pour le subordonné ! Je pris donc la liberté de me confier à Monsieur Stosskopf et c’est lui qui me maintint à Lorient en 1940 et surtout en Novembre 1942.

……………  ( rencontrant un peu plus tard) ….Monsieur Stosskopf, celui-ci me dit : « Voulez-vous
m’aider à repérer les sous-marins allemands à l’arsenal ? – Mais, comment ?- Quand un sous-marin envoie une pièce à réparer, elle est accompagnée du numéro de ce bateau et puis voici le schéma des postes d’amarrage des sous-marins dans l’arsenal le long du Scorff, où à chaque poste figure un cadre destiné à recevoir le numéro du bateau.

Retenez par coeur ce schéma, faites deux fois par jour le tour de l’arsenal et venez chaque fois me rendre compte.» Il ne m’est pas venu à l’esprit de demander à Monsieur Stosskopf ce qu’il pourrait bien faire de ces renseignements. Ma confiance en lui était absolue. J’ai seulement pensé ultérieurement que son « ausweis » permanent et ses voyages chaque mois à Vichy pour « rendre compte » devaient avoir une certaine utilité… C’est ainsi que je fis la connaissance des sous-marins du groupe des 100 : 103 – 105 – 106 – 107…, et notamment le 123 (avec leurs insignes distinctifs). Dès que Keroman I et II furent mis en service, une partie très importante des mouvements des sous-marins y fut dirigée, au détriment des pontons d’amarrage de l’arsenal. Mais y aller, pour suivre les mouvements des bâtiments était alors extrêmement difficile, parce

que la surveillance y était très vigilante…… ».

Enfin , Jacques Stosskopf, grâce à ses relations avec l’état-major allemand, se rend assez fréquemment à la base de sous-marins. Il y envoie aussi parfois un des jeunes ingénieurs du génie maritime comme Labbens qui constate, en novembre 1941, que Kéroman I et Kéroman II sont terminés et que cinq sous-marins sont en carénage, répartis entre Kéroman I et les abris-cathédrales du port de pêche.

Stosskopf s’informe également auprès d’un grutier de l’arsenal, Marcel Mellac, qui est chargé, aux mouvements généraux, d’enlever les périscopes des sous-marins, ainsi qu’auprès d’un ingénieur allemand antinazi, objecteur de conscience que son employeur a pu faire sortir d’un camp de concentration pour le faire affecter à Lorient. A la fin de la guerre, fait prisonnier de guerre, cet ingénieur sera rapidement libéré pour services rendus à la Résistance française.

Ainsi lors des réunions à Vichy, il peut, de mémoire, transmettre au commandant Trautmann, puis, à partir de juillet 1941, au commandant Ferran, qui l’ a remplacé, l’ensemble des renseignements obtenus sur les sous-marins: leurs numéros ou leurs totems, leurs victoires, leurs avaries, leurs périodes d’indisponibilité, ou les effets d’un grenadage sur un sous-marin qui a pu rentrer à Lorient alors que les Alliés le croyaient coulé, signalant aussi les innovations techniques apportées par les Allemands, notamment le fait que les Allemands étudient des peintures anti-asdic et que les sous-marins sont en cours d’équipement pour naviguer longuement dans les mers chaudes,.

Une fois ou deux seulement, il apporte des documents, notamment les premiers projets d’abris de sous-marins, documents transmis au lieutenant-colonel Ducrest de Villeneuve, du Service des Renseignements de l’Armée, qui lui-même les remit à deux officiers de l’ambassade américaine, Sabalaught et Cassidy.

Promu sous-directeur à Lorient le 23 septembre 1942, Stosskopf se retrouve bientôt en première ligne, aux côtés de l’ingénieur général Renvoisé, qui a succédé à Antoine, pour affronter les conséquences de la politique collaborationniste de Vichy, qui demande d’obtempérer à l’envoi exigé par les Allemands d’ouvriers de l’arsenal pour le chantier « Deschimag-Seebeck » de Wesermûnde. S’il a obtenu que soit ramené de 498 à 246 le nombre des ouvriers concernés, néanmoins, aucun des 207 ouvriers reconnus aptes physiquement n’étant volontaires pour cette “ déportation” , après en avoir informé les délégués du personnel, il signe en lieu et place des intéressés les formulaires de volontariat imposé par les Allemands, cet “ engagement” leur assurant certains avantages ( droit aux lettres, à une solde qu’ils pouvaient envoyer à leur famille, au retour au bout d’un an, date d’expiration de leur contrat). Il incarne par là même pour de nombreux lorientais le caractère odieux de la politique de collaboration .

Ainsi, le samedi 24 octobre 1942, le jour du départ des requis que lui -même accompagne en Allemagne, des centaines de manifestants lui lancent « À mort Stosskopf” à côté des « Laval au poteau« , « À bas les Boches« , « Les soviets partout« . Scène vécue comme suit par l’ingénieur Gallais « reste gravée dans ma mémoire l’image du train – le seul – qui a conduit de Lorient à Wesermûnde les ouvriers désignés, encadrés par un jeune ingénieur- du génie maritime, Keller, mais aussi accompagnés pour le voyage et leur installation, par Monsieur Stosskopf … Tous les présents à l’arsenal s’étaient donné rendez-vous à la gare de Lorient. Ce train, aux wagons surannés, s’ébranla aux cris de colère des assistants, et j’ai vu dans le dernier wagon Monsieur-Stosskopf avec un sourire figé, hué à mort, par ceux pour lesquels il se sacrifiait..

L’invasion de la zone sud contraignit Stosskopf à chercher une autre filière. En décembre 1942, selon toute probabilité, par l’intermédiaire du général Raynal, chef du secteur « Asile » du réseau Alliance, dans la région de Vichy, il entre en relation avec Joël Lemoigne, alias «Triton» fonctionnaire de la Marine à Brest, chef du sous réseau marine « Seastar », au sein du secteur Chapelle en Bretagne du réseau « Alliance».

A partir de ce moment, Jacques Stosskopf communique ses renseignements à Maurice Gillet alias «Triton» , courtier maritime à Brest, responsable de la base d’opérations maritimes de Sea Star sur Brest, par l’intermédiare de Joel Lemoigne « Licorne », qui joue l’agent de liaison. Grâce à l’opérateur radio, René Premel, alias « Grèbe», manoeuvre à l’arsenal, transmet les informations aux services britanniques. Les mouvements des sous-marins sont ainsi signalés par radio. Les courriers sont acheminés par mer, notamment par la filière mise en place par Ernest Sibiril, propriétaire d’un chantier de construction de bateaux à Carantec, ou par avion, les doubles ne sont détruits qu’après que la B.B.C. a fait savoir, par les phrases convenues, que les originaux sont arrivés en lieu sûr.

Malgré les arrestations qui ont frappé le réseau Alliance à partir du 16 septembre 1943, et plus particulièrement le secteur « Chapelle » , Jacques Stosskopf poursuit son activité de collecte de renseignements. Toutefois, les bombardements du 14 janvier au 17 mai 1943, qui ont détruit la ville de Lorient, transformé l’arsenal en un amas bien incapable de construire quoi que ce soit, et devenu une simple annexe de la base sous marine de Keroman, rendent difficiles celle-ci, d’autant plus qu’à partir de septembre 1943, il a été contraint d’aller habiter à Quimper. De plus, les soupçons des allemands sur les activités d’espionnage au sein de l’arsenal s’aggravent, renforcés par un attentat commis le 5 janvier 1944 qui a mis la centrale électrique de l’arsenal hors d’état de produire de l’eau distillée pour les batteries des sous-marins.

Or, le nom de Stosskopf aurait figuré sur une liste que la Gestapo a trouvée sur un agent du réseau Alliance. Un premier avertissement lui est indirectement donné. Selon divers témoignages à l’issue d’une conférence chez le commandant allemand de l’arsenal, le lieutenant de vaisseau Bernardi dit au lieutenant Pauchard, interprète, que Stosskopf ne fait plus l’affaire, que, bien que les ouvriers placés sous ses ordres ne travaillent pas, il les défend. L’officier allemand ajoute que tous les ingénieurs allemands s’en plaignent et qu’il est grand temps de le remplacer. Sachant que cet officier apprécie peu les nazis, Pauchard voit là un moyen de l’informer que Jacques Stosskopf risque une arrestation imminente. Pauchard le rapporte à l’ingénieur le Puth qui informe immédiatement Jacques Stosskopf. Selon l’ingénieur Le Puth, ce dernier lui aurait répondu : « Je ne puis abandonner mon travail actuellement ; je suis à la tête d’une filière qui ne saurait exister sans moi et ma désertion pourrait avoir de graves conséquences pour certains de mes agents ».

Le 21 février 1944, alors que Jacques Stosskopf vient d’avoir une conférence pour une question de service avec deux de ses subordonnés, un soldat interprète vient le chercher pour soi disant le conduire devant le responsable de la police judiciaire. À 16 heures, le directeur Renvoisé le voit entrouvrir la porte de son bureau et lui dire avec un sourire : « Je suis convoqué à la police judiciaire. » ne paraissant pas inquiet. On ne le reverra plus. Ni à 17 heures 30 au départ du car des officiers, ni à la gare où Renvoisé le fait rechercher en vain avant de faire prévenir sa femme à Quimper par l’ingénieur Perrais, également replié dans cette ville. Le lendemain, la Marine allemande, déclinant toute responsabilité dans cette affaire, annonce que Stosskopf a été arrêté par le Service de Sécurité de la SS, le S.D. de Vannes, sur un ordre venu de Rennes, et qu’il est incarcéré à la prison de Vannes. Perrais retourne alors à Quimper prévenir Madame Stosskopf et détruire le cas échéant tout document compromettant. Dans le bureau de son mari, ils trouvent une grande enveloppe pleine de documents que celui-ci a mis quotidiennement à jour depuis le début de l’occupation. Tout est brûlé. Les allemands ne trouvent aucune preuve lors de leur perquisition le jour suivant, 23 février. De plus , malgré les interrogatoires subis par Jacques Stosskopf, aucun de ses informateurs de l’arsenal ne sera inquiété. Après son arrestation, il est incarcéré à la prison de Vannes puis à celle de Rennes et, le 20 mai 1944, il est transféré à Strasbourg puis au camp de Schirmeck, proche de cette ville, rejoignant d’autres membres d’Alliance dans le block 10.

L’avancée de l’armée américaine commandée par le Général Patton, qui, le 30 août 1944, a atteint la Moselle, aurait déterminé les nazis au massacre, dans la nuit du 1 au 2 septembre 1944, des membres du réseau Alliance détenus à Schirmeck. Le SS Karl Gehrum, Oberturmfürher de l’Ast III de Strasbourg, directement responsable de l’exécution des ordres venant de Berlin, avoua d’ailleurs, lors de son procès, que ceux-ci exigeaient « l’exécution systématique de l’Alliance par ordre supérieur auquel je devais obéir en officier discipliné ».

Un survivant du réseau, le docteur Jean Lacapère, désigné le 16 juillet 1944, comme médecin du camp, qui n’était donc plus au block 10, mais à l’infirmerie, a rapporté les faits suivants. Depuis la fenêtre de cette infirmerie, le 1er septembre au soir, il aurait vu le départ de ses camarades dont il crut tout d’abord qu’il était à destination de Gaggenau, ville située entre Strasbourg et Karsrhule. En effet, il avait entendu parler d’un repli vers ce camp depuis plusieurs jours. Toutefois, son inquiétude grandit quand il remarqua que tous partaient, sans bagage, par groupes de douze dans une camionnette. Or celle-ci revint toutes les deux heures jusqu’à l’aube. Un si court intervalle ne pouvait suffire au trajet Schirmeck-Gaggenau et retour. Divers témoignages permettent d’établir comme suit les derniers moments de ces patriotes. Parvenus au Struthof par groupes de douze et déshabillés dans la baraque-vestiaire, ils sont conduits dans le local situé au-dessous du four crématoire. Là, ils sont étendus sur le sol, puis exécutés d’une balle dans la tête, dès leur entrée dans ce caveau. Les corps sont montés par l’ascenseur jusqu’au four crématoire, puis incinérés à raison de quatre à six par heure, ce qui explique le fonctionnement du four pendant plusieurs jours. Le SS Gehrum indiqua lors de son procès : « cent huit personnes de l’Alliance, ont été transférées, les 1er et 2 septembre, au Struthof. Deux jours plus tard, le chef du camp de Schirmeck, le nommé Buck, m’a confié que toutes avaient été tuées au Struthof d’une balle dans la nuque et brûlées par la suite au four crématoire, travail qui a duré en tout deux jours et je n’ai eu connaissance de ces faits que par les déclarations de Buck… ».

Le 11 juin 1946, au cours d’une prise d’armes sur le terrain d’aviation d’Issyles-Moulineaux, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur et la croix de guerre avec palme, décernées à titre posthume à l’ingénieur général du genre maritime Jacques Stosskopf ont été remises à son fils.

Le 6 juillet 1946, au cours d’une cérémonie militaire, le nom Ingénieur général Stosskopf fut donné à la base de Keroman construite par les Allemands à Lorient pendant la guerre pour abriter leurs sous-marins.

Sources : Rédaction association l’Alliance. Notice établie à partir des renseignements contenus dans le livre « Morbihan en guerre » de Roger Le Roux Troisième Partie chapitre XII Les réseaux / « L’Alliance » pages 335 à 340 et 399 dans les listes du Livre-Mémorial de la Déportation, Tome II pages 348 à 353. dans les notes et articles de Geneviève Beauchesne, et René Estienne, responsables des archives et des recherches historiques de la Marine à Lorient, rapportés dans le livre à la mémoire de leur père écrit par ses enfants François Stosskopf et Elisabeth Meysembourg-Stosskopf.

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